N'ayez pas peur de mon titre bizarre, je voudrais juste vous parler un peu des teintures naturelles. J'ai eu la chance d'avoir un cours pratique sur ce sujet dans mon école (l'idée étant à terme de remplacer les colorants chimiques que nous utilisons pour teindre nos tissus de restauration par des colorants naturels) et je me suis dit que j'allais vous en faire profiter ici.
Au programme : indigo, cochenille et garance !
Je vais commencer par les rouges, avec la cochenille et la garance. La première provient d'insectes qu'on broie pour obtenir un rouge presque fuchsia, la seconde vient d'une plante et permet d'obtenir un beau rouge qui tire un peu sur le orange. C'était autrefois la couleur des pantalons d'uniformes des soldats français : rouge garance (plus adapté aux défilés et autres festivités qu'à des combats où la discrétion est souvent de mise...)
Plante et racine de garance
Pour vous faire un tout petit point historique, au Moyen âge la garance est beaucoup utilisée, saturée ou en fin de bains pour obtenir des teintes plus ou moins soutenues, du rouge vif au rose pâle en passant par une couleur un peu corail. Puis la cochenille fait son apparition, en gros avec la découverte de l’Amérique. Elle permet des rouges qui tirent vers le violet, dans une réminiscence de ce pourpre tant prisé dans l'Antiquité. C'est aussi la période à laquelle les mélanges de colorants dans le bain commencent à être tolérés (avant, il fallait faire des bains successifs, parfois chez plusieurs teinturiers).
Pour teindre avec de la garance et de la cochenille, il faut préparer le tissu en imprégnant les fibres d'un produit (souvent un sel métallique) qui va permettre aux molécule "teintantes" de s'accrocher. Pour le lin et le coton, il faut faire une autre opération appelée "engallage" pour que la teinture fonctionne (on trempe le tissu dans un bain contenant un tanin). Puis on peut teindre, soit avec une décoction de plantes, soit avec des poudres ou des extraits dilués dans l'eau et chauffés. Selon les plantes, la température et le temps de chauffage peuvent être différents, mais en général il faut atteindre progressivement 70-80°C et maintenir cette température pendant 45 min environ.
Nous avons réalisé de nombreux échantillons pendant ce cours, mais j'ai aussi eu l'occasion de me teindre un petit foulard en soie. J'ai fait un premier essai en faisant des nœuds et en le teignant en rose pâle (garance+cochenille à faible concentrations) mais la couleur était vraiment trop pâlichonne. J'ai donc plié mon tissu en accordéon, j'y ai ajouté des pièces de monnaie maintenues par des pinces, et j'ai remis le tout dans un nouveau bain (garance concentrée). Et voici le résultat !
Passons au bleu, avec le roi des colorants, j'ai nommé l'indigo !
Longtemps considéré comme un pigment minéral, l'indigo provient de plantes (plusieurs espèces différentes dans le monde). La spécificité de cette teinture est qu'elle se "révèle" lorsqu'on sort le tissu du bain, au contact avec l'oxygène. Lorsqu'on sort le tissu du bain, il passe donc progressivement du vert-jaune au bleu : le tout a quelque chose de magique...
Plusieurs types de traitements peuvent être faits pour rendre la plante utilisable, de la fermentation à l'évaporation et au broyage pour obtenir une poudre. Ici, nous avons utilisé de la fécule d'indigo, qui se présente comme une poudre très concentrée en colorant.
Pour que la teinture fonctionne, il faut préparer un bain basique, et faire en sorte qu'une réaction de réduction se fasse afin de rendre le pigment bleu effectif. Traditionnellement, cet état est obtenu par fermentation de la cuve de teinture contenant l'indigo. Mais il s'agit d'une opération assez longue et complexe. Depuis quelques dizaines d'années, on utilise de l'hydrosulfite pour faire une cuve chimique et accélérer la réaction. Cette substance étant toxique et polluante, nous ne l'avons pas utilisée. Notre cuve a donc été montée avec de la chaux (pour le milieu basique) et du henné (pour amorcer la fermentation et la réaction de réduction). Quelques heures après, une belle mousse cuivrée apparaissait à la surface de la cuve, signe qu'elle est prête à teindre.
J'y ai plongé un foulard en crêpe de laine, que j'avais préparé en faisant des ligatures et des fronces :
Je voulais une teinte assez pastel, je ne l'ai donc laissé que quelques secondes dans le bain, puis je l'ai oxygéné une dizaine de minutes. J'ai ensuite coupé mes fils et j'ai abondamment rincé et lavé le foulard.
Si ces histoires de couleurs vous intéressent et que vous voulez aller plus loin, voici deux ouvrages de référence :
- Michel Pastoureau, Bleu : histoire d'une couleur pour l'approche historique et symbolique
- Dominique Cardon, Le monde des teintures naturelles pour un guide complet des plantes tinctoriales et des pratiques de teinture
6 commentaires:
Merci pour cet article, intéressant les effets que tu as obtenu avec les préparations préliminaires de tes tissus! :)
Coucou Ségolène, merci pour ce petit cours de teinture et bravo pour les beaux foulards. Suite à notre conversation de ce nouvel an, j'ai lu le petit livre des couleurs de Pastoureau. Prochaine étape: Bleu, histoire d'une couleur. Je t'embrasse.
Très intéressant ! Ca doit vraiment être magique de voir le bleu apparaître à l'oxygène (puis j'aime le bleu...)
Et qu'est-ce que ton foulard rouge est beau !
Coucou Ségolène,
je rajoute qu'un livre est sur le point de sortir, écrit par Jenny Balfour-Paul, et il s'intitule Indigo: Egyptian Mummies to Blue Jeans. Si tu as l'occasion de passer à Londres (entre la France et la Suisse!!), l'auteur projette un documentaire (en Mars) à l'occasion de la sortie de son livre. Voilà le lien et c'est ouvert à tous (sur réservation) : http://colour.org.uk/meetingMarchA12.html
Profites bien de tes dentelles pendant 6 mois!!
Bises
Tiens, j'y songe, le sel métallique qui sert de fixateur, j'ai déjà entendu parler de pierre d'alun à ce niveau-là, vous avez utilisé quoi vous?
Merci pour cet article très intéressant :3
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